Un mien Amy, davant qu’avoir enquis
Mon jugement sur rythmes : m’a requis,
Qu’un Epigramme à toy je luy baillasse,
Cuiddant que ce, que je blasme, louasse.
Je blasme fort (sans rien dissimuler)
Voire et du tout je vouldrois annuler,
Si je pouvois, tes vers que fais en rythme :
Veu mesmement, que plus aurois d’estime,
Si te voulois addonner aux Sciences,
Desquelles as du Seigneur, les semences.
Je ne dy pas, que Dames et Seigneurs,
Pour resjouir et recréer leurs Cueurs,
Commettent cas lequel soyt d’eulx indigne,
D’escrire en Vers, quelque matiere insigne :
Aussi à ceulx qui n’ont assés d’esprit,
Pour attenter haultain cas par escript :
Ou bien s’ilz ont leur esprit admirable,
Ilz n’ont esté (par Sort desraisonnable)
En leur jeunesse, aux Escholles instruicts :
Concedderay tels Vers, pour leurs deduicts :
Mais les Scavants trouveroyent fort estrange,
Si un
Langey, en un rythmeur se change.
Tu me diras possible, que
Dolet,
S’est bien demis à quelque triolet.
Je te respons ce qu’à luy mesme ay fait,
Que d’esprit grand doibt sortir grand effect,
Mais si tu veulx à ceste fin là tendre,
Que par tes vers puisses proffit pretendre,
(Car aujourd’huy rythmes sont en vigœur,
Et hault scavoir recullé, en langœur :)
Je te pourray par tel sy, excuser,
Que, sans jamais aux rythmes t’amuser :
Retourneras à ton meilleur estude.
Je ne suis point un Stoique si rudde,
Que je n’entende assés bien de moymesme,
Qu’est mal aisé de monter roidde terme
Au bon Cheval, qui n’a heu sa pasture :
Aussi ne peut qui paouvreté endure,
Phylosopher, ne haults faicts entreprendre.
Si ne doibts tu, ò
Saincte Marthe, entendre,
Que
ceste noble, et illustre Princesse,
Que tu as prinse en refuge et addresse,
Te prise plus par ta Francoyse rithme,
Que ne feroit pour Œuvre sublime.
Tesmoing j’en suis, car lors que je lisois
Dedans Paris, où
Cardinaulx j’avois,
De mon scavoir tous portants tesmoignage :
Recullé fus par
aulcun personnaige,
Qui ne porta proffit aux Escholiers :
Car esperoyent, que Sophistes lourdiers,
Seroyent par moy exterminés de France.
En ce temps là qu’on me fist telle oultrance,
Chascun craignoit pour moy parler au
Prince,
Ceste Princesse, en print bien la Province :
Disant, qu’avoys (comme on m’a recité)
Le bruit et pris, de l’Université.
De ce, me sens à elle tant tenu,
Comme si j’eusse aulcun bien obtenu
De
ce hault Roy, de Vertu decoré,
L’esprit duquel (j’en suis bien asseuré)
Si l’on souffroit ce divin Art entendre,
Il passeroit en scavoir Alexandre :
Car il est Prince, en tout cas si perfaict,
Qu’onques un tel la Nature n’a faict.
Pour revenir donques à mon propos,
Si
la Princesse a heu Cueur tant dispos,
Davant
le Roy tant bien me soubstenir :
Je te requiers, celà de moy tenir,
Qu’en delaissant dorenavant tels mettres,
Prennes plaisir retourner à tes lettres,
En advanceant ces langues en practique,
Desquelles as si bonne theorique.
En ce faisant, honneur tu gaigneras,
A
la Princesse aussi, plus complairas,
Et au Seigneur, qui pour orner le Monde,
Veult, qu’un chascun tant seulement se fonde,
Et tienne ferme, à la vacation,
A laquelle, a son inclination.
Si tu me dy, que moymesme je rithme,
Certes aussi point ne t’endesanime,
Pourveu, qu’apres labeur de grand’durée,
Soit seulement l’Esprit qui se recrée.